De la nécessité des séances tout public
par Ismaïl Safwan
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« Ce qui intéresse les enfants au théâtre, c’est de regarder les adultes regarder le spectacle. C’est ce qui en donne toute l’importance et les pousse à grandir. »
(Philippe Dorin, cérémonie des Molières 2008)
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Les séances scolaires confrontent ceux qui en proposent à une triple difficulté et représentent un défi que nous relevons avec engagement et plaisir, mais qui n’en est pas moins réel :
- la première difficulté est celle présentée par un public d’enfants ou d’adolescents, pour la plupart non encore formés au « savoir bien se tenir » de la séance de théâtre et au respect attentif du travail de l’artiste en scène (il s’agit, bien entendu, d’un constat et non d’un regret, tout comme les deux points suivants) ;
- la deuxième est celle liée aux groupes (classes, écoles, collèges…) que constitue par nature un public scolaire : il est bien connu que les « effets de groupe » ne sont pas toujours des plus spontanés, et qu’ils se manifestent d’ailleurs tout autant lorsqu’il s’agit de groupes d’adultes ;
- la troisième est celle présentée par un public « captif », mot un peu fort mais éloquent pour qualifier des spectateurs n’ayant pas choisi de leur propre chef d’assister à la séance de théâtre.
Tous les professionnels du spectacle vivant connaissent l’effet principal induit par la conjonction de ces trois contraintes : une attention parfois « volatile », dispersée, de l’auditoire — à charge pour la compagnie de parvenir à capter cette attention. Voilà de nombreuses années que Flash Marionnettes et tant d’autres s’y emploient — et y parviennent.
Toutefois, l’effort impliqué par cette « captivation » (et non pas « captivité » !), se fait au prix d’un engagement de tout instant de la part des artistes en scène, qui rend souvent pour eux les représentations scolaires plus épuisantes que les représentations tout public. Cet effort accru, cette concentration sans relâche, se font parfois au prix d’un certain raidissement de la représentation, d’un durcissement du rythme, d’une énergie plus tendue que lors de la plupart des séances tout public.
D’où la nécessité que nous éprouvons de pouvoir aussi nous adresser à un public d’adultes, ou mélangeant enfants et adultes : c’est pour nous la façon d’éviter une crispation de nos spectacles qui irait s’aggravant sur toute la saison, et de retrouver à échéances régulières le relâchement nécessaire à tout geste théâtral que nous apporte la séance tout public, particulièrement en soirée(*). Car enfin, tous nos spectacles proposent une double lecture enfantine et adulte (Alice, comme l’œuvre dont il s’inspire, en est l’exemple-type), et nous ne pourrions accepter sans frustration de marcher sur un seul pied avec seules les séances scolaires pour avancer, aussi réussies et gratifiantes soient-elles.
On l’aura compris, c’est au nom de l’exigence artistique, de la vitalité au long cours de nos créations et donc, in fine, dans l’intérêt du public, que nous demandons une séance tout public (voire plus si la série dépasse quatre représentations) à ceux qui nous accueillent. Il est arrivé qu’on nous reproche de ne pas faire d’exception à cette règle, mais si tel n’était pas le cas, nos calendriers de tournée étant rendus publics, nous nous attirerions l’incompréhension tout à fait justifiée de certains autres de nos interlocuteurs. Pour autant, nous comprenons l’impossibilité pour certains lieux, voire le refus pour des raisons de politique de programmation, d’accueillir un spectacle dit « jeune public » en séance tout public : nous nous retrouvons somme toute dans des positions symétriques, puisque ces lieux n’envisagent pas plus que nous d’exception à la règle qu’ils se sont fixée… Nous ne leur demandons que de respecter nos raisons autant que nous respectons les leurs, même si elles nous obligent mutuellement à reconsidérer notre collaboration.
Nous faisons un beau métier, mais les contraintes en sont parfois rudes, et toutes les positions, du moment qu’elles sont de bonne foi, doivent pouvoir être entendues. Vos réactions seront les bienvenues…
Ismaïl Safwan, metteur en scène
(*) : Beaucoup de séances « tout public » de l’après-midi présentent tout ou partie des contraintes que celles décrites plus haut, avec parfois une difficulté supplémentaire : celle de la présence dans l’auditoire d’enfants en bas âge (ou tout au moins d’âge largement inférieur à celui indiqué par nos documents et ceux du théâtre qui nous reçoit) et à qui il est évidemment difficile d’interdire l’entrée, malgré la meilleure volonté des équipes qui nous accueillent. C’est pourquoi nous évoquons l’importance que revêt pour nous la tenue de séances tout public en soirée.
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